La meilleure campagne de marketing territorial jamais réalisée, vous la connaissez forcément. Des stars internationales en ont tenu les premiers rôles et elle a poétisé une ville comme jamais auparavant. Il s’agit bien sûr des Demoiselles de Rochefort. Plus de cinquante ans ont passé et ce film continue d’être une source d’inspiration. Notamment de Lalaland, superproduction hollywoodienne et tout récemment de LalaCaen, comédie musicale et court métrage à destination des réseaux sociaux, à laquelle je me propose de consacrer cette chronique.
Halte-là, me direz-vous. Ces exemples disparates ne relèvent pas du marketing territorial car aucune collectivité n’en est à l’origine.
Pour autant, le fond comme la forme ont bien des points communs avec ceux de la communication publique. En tout cas, je vais essayer de vous en convaincre.
Le pitch de LalaCaen est simple. Un couple d’étudiants discute de son futur et le jeune homme essaie de persuader sa petite amie de « rester à Caen ». S’en suit tout un argumentaire, en danse et en chansons dans les rues de la ville.
Caen est montrée sous ses plus belles couleurs. Il est rappelé qu’elle n’est qu’à deux heures de Paris, pourvue en trams, club de foot, vie culturelle, musées, librairies… et de conclure qu’elle pourrait être la vraie capitale de la Normandie et même rééditer l’exploit de l’invasion de l’Angleterre. Euh !?
À quel moment le film sort-il des rails de la communication institutionnelle?
Car Lalacaen est en fait une potacherie montée par le réalisateur caennais Jonathan Perrut. Celui-ci saute à pied joints par dessus tous les codes du film promotionnel. Il cite des communes concurrentes. Il explique que les petits commerces ferment et qu’on trouve les mêmes franchise de m… que partout ailleurs, il parle des appartements exigus – insalubres – hors de prix, des gens pas très malins mais sympas, des ivrognes, des prostitués… Tout ce qu’on tait pudiquement d’ordinaire est ici revendiqué.
S’il réussit le tour de force de donner une image attachante de la ville en mélangeant tout cela, c’est parce que trois ingrédients sont également présents.
L’authenticité d’abord: les couleurs chatoyantes n’empêchent pas le regard sans concession sur la réalité des villes moyennes. Cette « crudité » passe sans problème grâce à une franche dose d’humour. Jonathan Perrut se moque de Caen et des Caennais certes, mais après tout il en a le droit car il est des leurs et derrière l’autodérision, pointe l’amour de sa ville.
Quelle leçon peut en retirer le communicant territorial ?
Authenticité, humour et amour sont justement les ingrédients les plus difficiles à incorporer à une campagne publicitaire. Cela tient à la nature même de la communication. Celle-ci se doit d’avoir un objectif, par exemple la promotion d’un territoire alors que l’art n’a pas de finalité extérieure à lui même « art for art sake ! ».
Dit autrement, ni l’authenticité, ni l’humour et encore moins l’amour n’ont à se justifier en fonction de benchmarking, de marchés cibles ou de stratégies de différenciation.
J’ai aussi interrogé Marc Thebault, responsable de la mission attractivité de Caen la mer. Il m’a avoué avoir ri un peu jaune à la première vision, puis beau joueur, a constaté la réception unanimement positive et l’effet cathartique de la vidéo sur les habitants. « Après tout, nous n’avons pas le monopole du discours sur le territoire.» Il n’a plus eu alors qu’à saluer l’artiste, sortir son pouce bleu et partager la vidéo sur les réseaux sociaux.
Article préalablement publié dans Brief N°92, le magazine des communicants publics
