Parce que la vidéo est LE dispositif de communication politique à suivre en ce moment, je tiens désormais une chronique dans ComPol / CourrierCAB lettre d’information consacrée à l’univers des directeurs de cabinets et des décideurs des politiques publiques.
Casting de choix pour cette première livraison avec Jacinda Ardern et même Alexandria Ocasio-Cortez…
Le sujet
A 40 ans, Jacinda Ardern est à la tête de la nouvelle Zélande depuis 3 ans. Certes elle est jeune mais ce qui est remarquable surtout, c’est sa formidable popularité, qui a permis à son parti de remporter les élections législatives avec plus de 50% des voix, score inédit dans un scrutin à la proportionnelle, alors même que son pays est, comme tant d’autres, victime de la récession mondiale due à la COVID-19.
Les observateurs s’accordent à lui reconnaitre un vrai talent de communicante : aisance dans l’usage des réseaux sociaux, sens de l’autodérision et sourire permanent.
C’est à l’occasion des crises qui ont frappé la nouvelle Zélande – attentats de Christchurch et pandémie – qu’elle a prouvé ses qualités. Dans ces épreuves, elle a su inspirer la confiance grâce à un mélange de bienveillance et de fermeté.
L’objet
Cette vidéo a été faite à l’occasion de l’anniversaire de ses deux ans comme Première Ministre. Selon ses propres mots, son équipe lui a lancé le défi de revenir sur les réalisations de son gouvernement en deux minutes.
On est dans un exercice de communication politique classique : le bilan. Un bilan peut se décliner sous de multiple formes, avec une constante : le tentation de l’exhaustivité. Plus on en met, mieux on a travaillé. Il est donc paradoxale d’utiliser une pastille vidéo de 2 minutes pour promouvoir une action qui par définition se doit d’impressionner par son volume.
C’est le premier élément original de ce dispositif de communication que nous analysons aujourd’hui.
Pas d’originalité particulière à relever au niveau des « décors et costumes ». Jacinda Ardern est filmée face caméra, assise à son bureau. L’arrière-plan est flouté (effet bokeh) et ne se distingue en rien… ah, si ! une plante verte (pas de bibliothèque, pas de statuette, pas de moulures dorées).
Cette simplicité permet de se concentrer sur les mots qu’elle prononce. Et ceux-ci vont arriver à l’allure d’une mitraillette, redoublés grâce à un procédé de sous-titrage qui transcrit non les phrases comme c’est l’usage mais les mots seuls, à grande vitesse.
Notre rétine enregistre une foultitude de termes clés couvrant tout le champs de l’action politique.
L’effet recherché – et obtenu – est celui de la pléthore : la corbeille déborde de projets, de réalisations, de réussites…
Dans un coin de l’écran, un chronomètre a été lancé et souligne le temps limité, l’urgence, le défi : autant de figures récurrentes de l’action politique. Car tout ceci n’est pas qu’un jeu. C’est la traduction de l’énergie et de la volonté de la Première Ministre. D’ailleurs, les deux minutes n’ont pas suffi. Elle a trop d’actifs à son bilan pour que tout tienne dans le temps imparti. Elle réalise un médiocre 2 minutes 56 soit 30% de dépassement. Elle fait la grimace devant cette piètre performance mais souligne dans un dernier sourire « but a great list ».
Ce qui sous-entend : le chronométrage, c’est à dire le dispositif de communication (la forme), n’est pas le plus important, ce qui compte vraiment ce sont les réalisations (le fond).
En vérité, c’est quand la forme est parfaitement maitrisée – comme c’est le cas ici – qu’on peut se permettre de dire qu’elle ne compte pas…
Il y a un an, cette vidéo avait cumulé des millions de vues. En reprenant l’idée, la star du Congrès, Alexandria Ocasio-Cortez réédite le succès d’audience et transforme un dispositif original en figure imposée, voir en challenge.
A qui le tour ?
laurent jauffret 