Chic, allez-vous me dire, car ce mois-ci nous allons analyser une vidéo de la campagne des régionales ! Mais non… Personne ne dira ça, car personne ne s’intéresse vraiment à la campagne des régionales. Oups! J’ai mis sur le papier quelque chose qui devait rester sous le tapis. Évitons tous malentendus. Il y a des enjeux très respectables liés aux compétences de la collectivité Région. Les lycées, les trains, la formation et deux ou trois autres choses sont effectivement primordiales pour certaines catégories de citoyens mais… peinent à se faire une place dans le grand récit de la vie politique française. Et ça, c’est exactement une problématique de communication politique.
L’échéance décisive
Pourtant, tous les politiques vous diront qu’ils sont convaincus du caractère décisif de cette échéance. À cela deux raisons (au moins). D’abord le mot « décisif » est employé trop largement, je pense. Ensuite, les élections régionales sont les dernières grandes manœuvres avant la seule élection vraiment décisive : la présidentielle. Elles sont donc à la fois un laboratoire des alliances et recompositions possibles, une séance d’essai qui détermine les poles positions, un crash test pour les partis et un gisement inépuisable de commentaires pour les journalistes politiques. Vous aurez noté toutefois que tout cela ne donne pas le début du thème d’un clip de campagne ! Comment faire ? Première solution : choisir un sujet qui intéresse supposément plus l’électeur que, mettons, la formation professionnelle – au hasard : la sécurité. Certes la sécurité ne fait pas vraiment partie des compétences régionales mais rien n’empêche de raconter qu’elle est désormais appelée à jouer un rôle décisif (tiens, revoilà ce mot). Autre solution : tirer les conséquences du manque d’intérêt des citoyens et leur parler d’autre chose. C’est la direction qu’a résolument décidé d’explorer Bruno Bonnell (LaREM), candidat en Auvergne-Rhône-Alpes. Emboitons-lui le pas pour analyser l’un de ses clips.
L’objet
Plusieurs caractéristiques doivent être relevées tout d’abord. La vidéo a été publiée sur LinkedIn où Bruno Bonnell se présente en tant que « multi-entrepreneur spécialisé dans l’industrie du numérique et de la robotique ». Sur ce réseau avant tout professionnel, il ne mentionne qu’incidemment sa qualité de député et sa candidature en tant que tête de liste. Cette vidéo est la première d’une série intitulée « Tout sauf politique ». On pourrait presque croire que ceci n’a rien à voir avec la campagne (ah si : il y a un logo dans un coin). Finalement, si les gens ne s’intéressent pas aux régionales, de quoi peut-on leur parler ? Eh bien de l’espace ! « The place to be » comme le montre le succès de Thomas Pesquet. Celui-ci n’étant pas disponible pour une conférence Zoom, Bruno Bonnell s’est rabattu sur Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français. La vidéo est donc une captation en split screen de leur échange. Jean-Loup Chrétien est interrogé sur ses souvenirs de sortie dans l’espace que Bruno Bonnell commente avec quelques métaphores sur l’ouverture de la porte du sas et la leçon de vie qui va avec. Il est aussi question d’un jeu vidéo, d’une navette en Lego et de la nécessité de la coopération internationale même si, c’est précisé à plusieurs reprises, on ne fera pas de politique.
L’effet
Bruno Bonnell réussit à évoquer dans une même séquence les débuts de la conquête spatiale, un jeu vintage et une future base lunaire internationale. C’est-à-dire le passé et le futur, l’enfance et le rêve, la nostalgie et l’optimisme. C’est l’alliance du Petit Prince et du Joueur du Grenier avec un zeste de développement personnel. Le cocktail semble imparable et le résultat est plutôt plaisant (même s’il faut faire attention avec le Petit Prince, cf. ComPol n°153). L’inconvénient est que cette vidéo distille son message électoral de façon tellement subliminale qu’on peut s’interroger sur son efficacité. De plus, quelle est la validité à long terme d’une communication politique qui refuse de parler politique ? Pas certain que les résultats au soir du 20 juin puissent donner de réponses à ces questions… décisives.

Cet article a été préalablement publié dans la lettre Compol N° 155 datée du 21 avril 2021
